LE TANNEUR

 

Il y avait les fosses creusées à l'air libre dans la cour de la tannerie ; c'était là-dedans que marinaient les peaux pour y subir la lente action des substances tannantes, semaine après semaine, mois après mois. La cour s'empuantissait constamment des épais remugles aigres que dégageaient les matières en macération.

On pratiquait également la mégisserie grâce à des bains d'eau, de cendre et d'alun, et le chamoisage du mouton ou de la chèvre par imbibition d'huile et de blanc de chaux. Mais ces techniques, pour rudimentaires qu'elles fussent, devenaient souvent des secrets de savoir-faire qu'un maître tanneur se gardait bien d'éventer.

Le tan était extrait de l'écorce du chêne, du châtaigner et du bouleau que les "pelureux" récoltaient à la montée de la sève, sur les abattis. Ce pelan, que le chemin de fer apportait du fin fond des bois, en bottes, était broyé à la tannerie puis modelé en épaisses galettes, à l'aide de moules que l'on pressait du sabot. On se servait aussi, pour le dégraissage des peaux, de la précieuse argile smectique.

Les tanneries se situaient toujours sur la berge d'une rivière car l'eau courante, de préférence riche en carbonate de calcium, était nécessaire aux lavages successifs des peaux ; elles se trouvaient aussi, pour une raison évidente, près des régions d'élevage. Les dépouilles destinées au gros cuir étaient livrées à l'état brut, encore fraîches et sanguinolentes quelquefois, aussitôt l'équarrissage des animaux terminé, par les abattoirs. On les salait et on les entassait afin d'en assurer la conservation correcte.

La première opération consistait donc, quand sonnait l'heure de les apprêter, à plonger les cuirs verts dans le cours d'eau, pendant une journée entière, pour les dessaler complètement. C'était la "trempe", le travail en rivière. Une suite de jetées en planches, sur pilotis, s'avançait dans le courant, le barrant presque de façon à former des retenues dans lesquelles baignaient les peaux que les apprentis touillaient constamment avec des perches.

Par un mélange de lait de chaux et d'orpiment, le pelanage facilitait l'ébourrage et le dépilage que les drayeurs accomplissaient au chevalet, en raclant de leur boutoir les poils déjà rongés par le sulfure d'arsenic. Suivait l'écharnage, toujours au chevalet et au tranchet, qui éliminait les restes de chair et de graisse, résidus que l'on récupérait dans des bacs de décantation et qui seraient convertis plus tard en engrais. Le bain de déchaulage puis le rinçage permettaient d'obtenir des peaux "en tripe", c'est-à-dire nettoyées et enfin prêtes à être tannées.

Autrefois, les différentes étapes du tannage comportaient trois immersions plus ou moins prolongées dans des solutions accrues de tannins végétaux. La "basserie" impliquait la suspension des peaux, pendant un mois, dans un jus tannant. Puis ces peaux étaient étendues entre des couches de tan et abondamment arrosées du liquide dans lequel elles avaient séjourné précédemment : c'était le "refaisage" qui pouvait durer trois mois. La "mise en fosses", pour finir, donnait le cuir dit "en croûte".

Le traitement d'une dépouille de bœuf demandait de 15 à 20 mois. Le tannage d'un quintal de cuir réclamait 120 kilos de peaux vertes et près d'une demi-tonne d'écorce réduite en poudre.

 

Source : LA BELLE OUVRAGE - G. BOUTET - ISBN 2.86553.096.5