L'Empire ne se peut dire ni ne se veut de droite ni de gauche ; il se déclare
"ailleurs". Il n'est pas devenu libéral non plus, il n'a même
pas commencé de l'être car quant au fond, rien n'a vraiment changé.
Le système impérial repose toujours sur ses deux fondements essentiels
: autorité intérieure, gloire extérieure.
Sous les coups répétés de Duruy, l'Eglise commence à perdre une part notable des avantages qu'elle avait conquis dans le domaine de l'enseignement ; l'Etat, qui n'a plus de raison de la ménager, lui reprend le terrain pied à pied. Au Corps législatif, qui est simplement devenu un peu plus bougon que par le passé, Rouher tient d'une main ferme sa majorité d'officiels. Aucune concession politique nouvelle n'est intervenue après 1861.
La gloire extérieure est toujours là, mais il la faut aller conquérir en terres lointaines. C'est la gloire coloniale. Dans l'Algérie pacifié, Napoléon III se proclame "empereur des Arabes" et prétend défendre les indigènes contre les envahissements excessifs des colons. La France s'installe en Cochinchine (1859-1867) et s'impose comme protectrice du Cambodge en 1863. Elle est aussi présente au Sénégal. Mais la plus grande aventure du moment, c'est l'expédition mexicaine de 1862.
Le Mexique, constamment au bord de la guerre civile, est lourdement endetté ; il est aux portes de la faillite. C'est un terrain superbe pour le déploiement du machiavélisme impérial ! Napoléon III rêve depuis longtemps à la nécessité qu'il y a d'équilibrer aux Amériques la puissance croissante des Etats-Unis et à la possibilité de tailler à la France une zone d'influence en Amérique centrale. Même si il est vrai qu'à cette affaire se mêlent des intérêts moins élevés comme ceux du louche banquier suisse Jecker, la conquête du Mexique n'est qu'une promenade pour le corps expéditionnaire du général Bazaine. Napoléon III en offre alors la couronne, en avril 1864, à l'archiduc Maximilien, frère de l'empereur autrichien.
Mais c'est bien peu vraiment que cette gloire lointaine au regard des seuls vrais problèmes, qui sont ceux de l'Europe. La question nationale allemande se pose : la Prusse est prête à agir contre l'Autriche. L'empereur se doit de s'en mêler en offrant sa médiation en temps utile ; il ne faudrait pas que la jeune Allemagne naisse trop puissante. Mais la Prusse exécute son adversaire en quelques jours et Bismarck impose à peu près toutes ses volontés.
Un désastre ne venant jamais seul, les troupes françaises doivent intervenir le 3 novembre 1867 contre des amis italiens qui marchent sur Rome et, à l'autre bout du monde, l'affaire mexicaine tourne à la catastrophe. Maximilien n'a pu s'imposer à ses nouveaux sujets, seule la présence du corps expéditionnaire français le maintenait en place ; quand il faut le retirer, sur la vive pression des Etats-Unis, c'est l'écroulement de l'Empire mexicain sous les coups des guérillas populaires. Maximilien est fusillé à Queretaro le 19 juin 1867.
C'est comme une débâcle qui commence. Si timide encore après 1863, l'opposition s'enhardit. Elle se déchaîne contre la politique étrangère et souhaite que l'Empire devienne réellement libéral. La tentative paternaliste pour forcer les sympathies ouvrières est un échec. Les travailleurs ont bien reçu les libertés qu'on leur octroyait, mais sans montrer de reconnaissance excessive, au contraire. Leurs délégués de 1862 avaient noué à Londres de sérieux lien d'amitié avec les représentants des trade-unions et, de cette entente entre militants anglais et français, naît, en septembre 1864, une Association internationale des travailleurs, l'A.I.T..
Dans le même temps, les travailleurs faisaient joyeusement l'épreuve de leur nouveau droit de coalition. Mais le droit de grève n'est rien sans le droit de former des sociétés syndicales. Le gouvernement tolère alors la formation d'une Commission ouvrière qui siégera jusqu'en 1869. Sous son égide, des chambres syndicales se constitueront.
Le 19 janvier 1867, une lettre de l'empereur publiée au Moniteur, annonce un cycle de mesures libérales. On s'achemine alors doucement, au niveau politique, vers un régime représentatif bicaméral. Dans le domaine de la presse, une loi du 9 mai 1868 supprime l'autorisation préalable et le système des avertissements. Enfin, une loi du 6 juin 1868 autorise la tenue de réunions publiques, pourvu qu'on y fasse pas de politique. Une lettre du 31 mars 1868 au Moniteur, du ministre de l'Intérieur, annonce, elle, que l'on accordera une très large tolérance aux associations de caractère syndical. Une loi du 2 août 1868 abolit l'article 1781 du Code civil qui consacrait l'inégalité devant la justice du maître et de l'ouvrier.
L'Empire ne ressemble déjà plus à l'Empire.
Mais pour les "libéraux", ce n'est pas encore assez, puisqu'on
n'a pas vraiment de régime parlementaire et qu'il n'est pas question
d'un aménagement du libre-échange. L'opposition républicaine
profite de la nouvelle licence pour se déchaîner ("Il y
a en France 35 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement").
Sous les coups qui lui sont portés, l'Empire est lentement, mais inexorablement
amené à se renier. L'Empire autoritaire n'est plus, les élections
de mai et juin 1869 sanctionnent cette lente débâcle. En dépit
de toutes les pressions habituelles, malgré tous les efforts déployés,
elles sont une défaite. Les gouvernementaux n'ont recueilli que 4 438
000 voix, les opposants sont passés à 3 355 000 voix. L'opposition
a doublé, les républicains chantent victoire.
(source : HISTOIRE DE LA FRANCE - LAROUSSE - GEORGES DUBY)