Il était dangereux de laisser vivre le pays dans un provisoire institutionnel.
En novembre 1873, l'Assemblée désignait une commission de trente
membres en vue de préparer un projet de constitution. L'idée peu
à peu se précisa que, pour éviter les aventures, il serait
prudent de doter la France d'une constitution telle que, républicain
ou monarchiste, le régime soit avant tout un régime d'ordre. Naquît
alors, à défaut d'une constitution, un ensemble de lois constitutionnelles
remarquablement imprécises : loi réglant l'organisation du Sénat
(24 février 1875), loi réglant l'organisation des pouvoirs publics
(25 février 1875) et loi réglant les rapports des pouvoirs publics
(16 juillet 1875).
Le pouvoir législatif est exercé par deux chambres : le Sénat et la Chambre des députés. Le pouvoir exécutif appartient au président de la République, élu pour sept ans par les deux chambres réunies en Assemblée nationale, et aux ministres, qu'il nomme et qu'il révoque. Les pouvoirs du président de la République sont très étendus ; ce sont, en fait, les pouvoirs d'un monarque constitutionnel. Mais les lois de 1875 instituaient un régime parlementaire, puisque le président de la République était politiquement irresponsable, et que ses actes devaient être contresignés par un des ministres, responsables, eux, devant les deux Chambres.
Cette fausse constitution est boiteuse. Elle ne précise pas le partage des attributions entre le président de la République et les ministres, mais elle a le grand avantage d'être brève et de laisser à l'usage le soin de résoudre les incertitudes. Elle avait surtout le grand mérite d'exister et de résoudre, au moins provisoirement, le problème du régime.
Ayant achevé son oeuvre, la liquidation des conséquences
de la guerre de 1870 et l'adoption des lois constitutionnelles, l'Assemblée
nationale s'était séparée à la fin de l'année
1875. Pour mettre en place les nouvelles institutions, il convenait, le mandat
du président Mac-Mahon ne devant s'achever qu'en 1880, de faire élire
les nouvelles assemblées. Le Sénat, élu le 30 janvier 1876,
fut monarchiste ; la Chambre des députés largement républicaine.
De nouvelles élections, en 1877, et le renouvellement partiel du Sénat,
le 5 janvier 1879, provoquèrent la démission de Mac-Mahon le 30
janvier.
1879 marque donc la victoire totale des républicains. Le
pouvoir politique va rester pendant une vingtaine d'années entre leurs
mains. Très vite, ils vont gaspillé leur énergie dans une
politique de laïcité qui prend rapidement l'aspect désuet
d'une guerre de religion. L'étroitesse de leurs vues s'expliquent en
grande partie parce qu'ils étaient bien plus tournés vers le passé
que vers l'avenir. Très marqués par leur lutte contre le second
Empire, aveuglés par la haine qu'ils portaient à ce régime
et à tout ce qui le rappelait, ils ont cherché avant tout à
en prendre le contrepied. Parce que l'Empire avait voulu s'appuyer sur les forces
catholiques dans les années 1860, le mot d'ordre favori des républicains
était devenu : "le cléricalisme, voilà l'ennemi !"
; parce que Napoléon III avait été sensible à la
théorie d'un Etat agissant pour alléger les misères, corriger
les inégalités, modifier les structures de l'économie,
les républicains en étaient revenus à la vieille doctrine.
Rien n'est plus révélateur de cette pauvreté de pensée
que l'indifférence des républicains aux réformes sociales.
Ils parlaient certes volontiers de nationalisations ou de lois de protection
du travail, mais ce n'était qu'affirmations abstraites ; ils n'avaient
aucune idée précise des besoins des catégories défavorisées,
ni même une simple connaissance des phénomènes économiques.
(source : HISTOIRE DE LA FRANCE - LAROUSSE - GEORGES DUBY)